Juin

Dimanche 1er juin
A la mi-année dans ce lieu qui me rend plus aigu le passage du temps et ses couperets toujours recommencés. A fouiner dans les placards à la recherche d’une ceinture, je tombe sur des photos d’époques entremêlées au hasard d’albums improvisés, de boîtes métalliques où s’intercalent correspondance et cartes postales. Tous ces parcours existentiels résumés à quelques lignes de moins en moins lus, à diverses images s’offrant de plus en plus rarement aux regards distraits. Nostalgie absurde que d’essayer une plongée mentale dans ces univers fixés plus ou moins côtoyés. Ce témoignage brouillon lui aussi ne se justifie par rien d’autre que la satisfaction d’un ego. Aucun intérêt pour le lambda égaré.
Ce midi, pour une parenthèse dans son quotidien, nous « invitons » (mais elle tient à payer) grand-mère dans un restaurant de Pézenas au cadre douillet. Un moral bien plus sombre que l’an dernier : son handicap, qui la prive de motricité, accentue l’épreuve de cette vieillesse à horizon réduit. Cette dépendance extrême à la fragilité d’un corps usé doit résonner comme une insulte à tout ce qui a animé ses décennies de vivance infatigable. Nous essaierons d’insuffler la convivialité à ce repos dominical pour ajouter quelques notes affectives aux rares moments passés avec elle.
Hier soir, balade avec ma BB dans quelques rues périphériques du centre où nous résidons. Les doux moments cumulés confortent un peu plus notre lien. Devant l’église éclairée sous toutes ses arêtes, nous laissons les petits bruits nocturnes envelopper l’évidence de notre union.
Vers 21h. Un bon régal culinaire avec une grand-mère aux anges. Après le déluge a tenu ses promesses semi-gastronomiques. Après une nouvelle tentative de chemin pour parvenir jusqu’à la plage, nous rencontrons un brouillard de chaleur qui hypothèque notre projet de pique-nique. Finalement, l’assombrissement n’est que passager et nous pouvons goûter le sable une dernière fois, ma BB s’offrant même quelques longueurs dans la bleue ventée.
A notre retour, l’oncle Paul et Mariette arrivés. Présence inattendue qui va finir notre séjour bien rempli.
Demain, à chacun sa ville : Lugdunum ou Big Lutèce.
Vers 23h30. Agréables échanges autour d’une bouteille de blanc liquoreux de 95. Toujours aussi convivial le père Paul : les années semblent sans prise sur sa bonhomie et son enthousiasme. Avec quatre mille pieds de vigne, il fait d’un loisir une passion à grande échelle. Une façon de renouer avec l’activité de nos ancêtres côté grand-père. Une fortune acquise par certains, dilapidés par les suivants, et dont la maison de Fontès est un bien pâle reflet. Mariette, le visage toujours aussi gentil, l’aide tant qu’elle peut dans cette activité distractivo-productive.
Ces contacts amicaux et familiaux ont aisément remplacé le suivi affectif des gens du nord. Quelle distance cosmologique avec ma raideur d’antan face à tout ce qui pouvait atteindre mon adhésion forcenée, et à œillères, à cet univers. Aucun regret de ce passage formateur, mais un sentiment, avec le recul, d’avoir rendu léthargiques certaines de mes capacités critiques. A trop protéger une zone, cela confinait à la caricature existentielle. Le système reposant sur le principe de la légitimité, rien ne pouvait contrecarrer le dit, le pensé, le vécu. Un dogmatisme aux oripeaux de l’anticonformisme admiré.
Demain matin, un dernier bisou à cette chère grand-mère dont les yeux s’embueront, et qui nous regardera partir en doutant tenir un an de plus pour nous retrouver. A 91 ans, elle garde une vaillance intellectuelle exemplaire, mais la Camarde se soucie peu de la capacité à vivre de ses proies. Advienne que pourra, donc…

Mercredi 4 juin, 1h08
Hier, réception d’un courriel d’Heïm m’informant des dernière dégradations physiques : le risque de paralysie d’un pied et le soin apporté par un produit réservé normalement aux enfants épileptiques. Rappel de la quarantaine d’heures de travail pour la mise en page du Gâchis et qu’il n’y peut consacrer qu’une heure par jour ouvrable… autant dire un report minimum de deux mois, avant la coupure d’août et une rentrée surchargée !

Le refrain m’est familier. J’ai renvoyé un courriel affectif, mais lapidaire. Pour l’anecdote, ces quarante heures de labeur m’avaient été annoncées il y a quelques semaines déjà, par message téléphonique. Elles semblent ne pas avoir réduit d’une seconde depuis lors : un labeur sisyphien en quelque sorte… ou une argumentation de moins en moins subtile… A la recherche d’un Gâchis perdu pourrait baptiser cette chronique éditoriale épisodique.
Quand le syndicalisme protège les privilégiés sociaux. La grève d’hier, reconduite aujourd’hui, trouve aux avant-postes les feignasses protégées de la SNCF, de la RATP et de diverses sociétés semi privées de transport. Pas directement concernés par l’indispensable réforme des retraites, ils s’adonnent à la grève préventive, au cas où le gouvernement voudrait porter atteinte à des privilèges parfois vieux comme le rail en France.
Ces régimes ne tiennent pas compte de l’évolution positive des métiers du chemin de fer qui ne nécessitent plus d’arrêts précoces du travail. Bien recroquevillés sur ces fiefs, ils revendiquent, sans le dire, la sauvegarde de leur régime d’exception. Solidarité d’apparence.

Samedi 7 juin, 0h30
Alors que trime ma BB, je ne vais pas résister longtemps au sommeil, malgré l’atmosphère étouffante de cette fin de printemps.
Jour après jour, la mobilisation du corps public, pour combattre les projets de réforme du gouvernement, s’étiole, fond. Pour compenser cette perte de masse, les fonctionnaires butés opèrent des actions coups de poing, éminemment réfléchies et adultes : ainsi quelques pneus enflammés déposés contre un immeuble occupé par le Medef, provoquent l’incendie du bâtiment avec le risque physique pour huit personnes. Un modèle de sagesse donc…
Entre l’émeraude du lac d’Aiguebelette et la façade montagneuse au vert touffu, la détente s’impose sous une chauffe astrale. Avec Elo et Ivan, dans l’attente de ma BB, le pique-nique va intensifier la consonance estivale du moment.

Dimanche 8 juin
Me voilà, comme un bon chrétien que je ne suis pas, debout, au fond de la jolie petite église de La Boisse, pour la communion de la filleule de BB. Bondée, l’antre religieuse, estivales les tenues, et une jeune femme à la robe aguicheuse qui lit les paroles d’un apôtre : notamment « la chair s’oppose à l’esprit ». Pour le moins risible, mais in petto, chut…
Familles, amis, accointances : tous en rangs serrés pour ces petits communiants dont on peut douter de l’authenticité de l’engagement. Entre habitude sociale et folklore, je n’arrive pas à adhérer à ces pompeuses déclarations.
Qui, ici, fait réellement attention au contenu du message ? Si, tout de même : un suivi unanime (sauf pour ceux qui n’ont pas trouvé de place) aux ordres de se lever et de s’asseoir.
La métaphore obscène qui justifie le rite : « recevoir le corps de dieu en soi » ! Un programme non charnel, bien sûr. Les paroles du prêtre raisonnent ici, et légitime cette communion, avec une suite d’explications effarantes, et qui fonctionnent encore.
Le béni-oui-oui excuserait tous les massacres, toutes les dérives passées… Toutes ces fois au nom d’un postulat de vie supérieure et, bien sûr, dieu innocent et les hommes coupables !
Pitrerie de l’esprit sans une once de distance avec les élucubrations assénées. Démonstration éclatante, sous couvert d’un message prétendu d’amour, d’un système manipulatoire où le confort de l’esprit consiste à pouvoir tout expliquer, tout justifier, alors que nous ne sommes qu’à l’âge primaire de la compréhension du monde. La fiction, voilà ce qui conduit tous ces systèmes rivaux. Et les antiennes enflent grâce au cadre matériel, et le grégarisme fait son œuvre.
Décidément, que ce soit dans ses manifestations ludiques ou vaguement spirituelles, l’humanité en bandes m’effraie. Rien ne pourra vraiment évoluer, au sens d’un changement d’ère humaine, tant que ces religions auront une place autre qu’une curiosité muséologique, à la manière des mythologies grecque et romaine.
La clochette du prêtre rythme le cirque eucharistique… Et cette assemblée en chœur, qui recèle toutes les trahisons, les coups fourrés, les médiocrités rampantes, les excuses vaseuses, représente toute la contradiction humaine, rarement capable d’assumer une ligne de conduite cohérente.
Tout cela glisse, et la poussière, nullement divine, recouvrira l’ensemble de ces fariboles d’apparat.
A noter que ces lignes ont été largement inspirées par la coloration intégriste qui officie ici. Amen.

Mardi 10 juin, depuis peu
Etouffante chaleur nocturne, malgré les fenêtres ouvertes. Un gant humide posé sur le front devrait aider à trouver le sommeil.
Une semaine très allégée en cours à donner qui doit me permettre une replongée dans les premiers volumes du Journal littéraire. Déjà, ce jour, lu au bord du lac de la Tête d’or la moitié du cinquième volume. Le regard j’espère plus affûté qu’à mon adolescence, je découvre un Léautaud pétri de contradictions dans sa gestion personnelle de la réussite formidable de Paul Valéry, qu’il a fréquenté très amicalement jusqu’en 1906 ou 1907. Des entrevues plus épisodiques par la suite, et un parcours littéraire contrasté, presque aux antipodes.
Sans l’avouer, Léautaud ressent la médiocrité de sa posture face aux consécrations de son confrère de plume. Profiter de cette célébrité pour vendre à un bon prix les lettres et autres traces écrites de Valéry qu’il possède lui donne quelques scrupules, tout de même. Ramener les élans critiques à de plus prosaïques préoccupations est bien le propre du Journal, antichambre révélatrice qui relativise toutes les intellectualisations trop propres, toutes les fictions trop programmées.
Voilà qui mérite de retenir ce genre littéraire comme le plus proche de la nature humaine : imparfait, contradictoire et imprévisible.

Mercredi 11 juin, depuis peu
Hormis les informations de la Une et quelques films de Canal +, l’essentiel de mon attention télévisuelle se porte sur la Cinquième et Arte, selon les heures. Comble de la fiente programmée, les diverses émissions pseudo divertissantes sur TF1 ; en réalité un condensé de la médiocrité festive pour primaires. En face, heureusement pour le PAF, des documentaires variés, des thèmes multiples qui comblent la gourmandise de connaissances. Ainsi, ce soir, un De quoi j’me mêle consacré au climat : tout ce qu’on nous cache. Le deuxième documentaire diffusé remet en cause l’opportunité des alarmistes sur les changements climatiques attendus. Une série d’idées préconçues sont ainsi balayées d’efficace manière et avec le souci scientifique d’en rester aux faits observables. Et si l’influence des activités humaines sur le climat restait marginale ? Et si un réchauffement de la surface ne rimait pas avec cataclysmes en série ? Des réflexions ô combien plus roboratives que les simagrées à paillettes d’autres show…

Jeudi 12 juin, 0h20
La chienlit persiste et notre déplacement à Paris s’annonce éprouvant côté transports. Quel méprisable spectacle donné au monde que ces hordes catégorielles arque boutées sur leurs privilèges sociaux ou revendiquant d’irréalistes mesures. L’action de cette très minoritaire portion du pays va coûter très cher à l’économie nationale. Eux s’en foutent, leur emploi est protégé par nos impôts. En revanche, tout le tissu économique privé devra se battre pour regagner sa crédibilité au-delà des frontières.
23h50 : l’étouffoir climatique s’intensifie. Ce soir de pleine lune contraint à suer au plus petit geste.
Ecouter les justifications des enseignants grévistes édifie sur la fragilité fantasmatique de leurs craintes. Une décentralisation de certains personnels mettrait en péril le service public national de l’éducation ! Rien que ça ! Et lorsqu’on creuse un peu au fond, que l’on observe ce qui se passe déjà dans l’école primaire où la décentralisation s’applique déjà sans chaos, que l’on compare à la situation anglaise où ce délestage a réussi, on saisit un peu mieux l’artifice du branle-bas de combat syndical. Quant à la retraite : les exigences de ces privilégiés (quant à la sécurité de l’emploi) confinent à l’égoïsme irresponsable pour les générations à venir.
Ce pays surfonctionnarisé subit les gesticulations opportunistes de ceux à qui il faudrait rappeler leurs devoirs. Plein la gueule ils en ont des solutions simplistes (du type faire payer les retraites par les produits du capital) sans aucune appréhension des conséquences économiques et sociales que cela aurait.

Samedi 14 juin, vers 1h
Un vendredi en balade en amoureux à Montmartre. Début au cœur du sacrément racoleur établissement religieux : la bâtisse éclatante d’extérieur propose les produits les plus variés pour se recueillir ou emporter un souvenir numismatique de son passage. La densité des troncs proposés au mètre carré pour la méditation, l’impossible accès à la crypte sans versement préalable ratatine ce lieu à une banale entreprise commerciale.
Certes, ces fonds servent à la rénovation et à l’entretien de la basilique, mais les formes prises discréditent l’opportunité qui en devient opportunisme.
Après le spirituel sonnant et trébuchant, l’artistique monnayable place du Tertre. Le fourmillement touristique alimente les vendeurs concepteurs de toiles et les croqueurs de portraits. Une ambiance bon enfant sur cette place emplie en son milieu de terrasses pour consommateurs assoiffés.
En élargissant la zone du vagabondage, nous profitons de ruelles plus villageoises où maisonnées et jardins intérieurs amplifient le charme du cadre.
Pour couronner l’escapade, nous poussons jusqu’au cimetière de Montmartre où les plus impressionnants mausolées rivalisent.
Quelques grandes personnalités s’y reposent comme Berlioz, Guitry, Truffaut, Dumas fils… et nous rencontrons, au bout d’une allée, tout à son affaire, le bénévole qui maintient en état la tombe fleurie avec statue en pied de Dalida.
Vingt mètres avant, celle, ô combien originale, et ressemblant à tout sauf à un lieu de repos éternel, de son psychanalyste.
9h15. Le cimetière est surplombé à un endroit par une énorme construction métallique qui, à l’époque du projet, a dû enflammer les riverains à défaut des âmes en repos.
Vers 11 heures. Les nuages menaçant du matin n’étaient que de la brume. Une chaude journée à Parmain pour fêter les trente ans de Bruce, que je n’avais pas revu depuis plusieurs mois. Le piano mobilise tous ses efforts et il commence à se produire dans quelques cafés parisiens. Deux frères dans la musique, moi à l’écriture, la fibre artistique donne quelque sens à notre existence même si nous n’en vivons pas. A l’écart du circuit économique, nous cultivons peut-être davantage les élans bruts en fidélité avec nos envies créatives.
Sans doute que rien ne percera vraiment, l’ambition ne nous tenaillant pas jusqu’à la compromission, mais cette confidentialité n’entame en rien la sensibilité que l’acte créatif aiguise. Voilà probablement le point d’ancrage fraternel, au-delà des divergences, parfois véhémentes, qui ont pu exister. L’expression singulière, et si possible esthétique, de ce qui bout ou mijote en nous, la consolidation (et au départ la quasi construction) d’un schéma existentiel par la manifestation subjective d’une complexité intérieure. Un peu pompeux le registre, je ferais s’envenimer Léautaud que je relis (les premiers volumes découverts à la fin des années 80) avec délice.
Ce matin, au sortir de la douche, j’entends Comte-Sponville sur Europe 1 s’étonner que la génération qui voulait tout changer en 68, défile aujourd’hui pour que rien ne bouge. Ceux, révoltés à l’époque, à qui l’on aurait dit que 35 ans plus tard ils se mobiliseraient pour des problèmes de retraite et pour une centralisation préservée, nous auraient ri au nez pour les plus cool et craché à la figure pour les plus authentiques.

Vendredi 20 juin, vers 1h
Le printemps aura été caniculaire et n’aura pas rendu l’action très efficace de mon côté. La relecture du Journal littéraire de Léautaud s’éternise, et rien de la rédaction thésarde n’a été amorcé. En fond musical, à cet instant, Henri Salvador attriste son registre via le temps nostalgique de Léo. Pas pour égayer le moral donc…
La vie perso coule doucement, dans l’entente pérennisée avec ma BB, seul pôle constructif actuel de mon existence. A comparer avec les tourments endurés par Léautaud auprès de sa « chère amie », je m’érige en privilégié sentimental. Lors de ma première lecture, je n’avais probablement pas bien ingéré cette histoire déglinguée, car cette expérience aurait dû m’inspirer une méfiance décuplée à l’égard de Kate aux signes négatifs multiples.

Samedi 21 juin
9h30. Eté intégral sur l’hexagone, la musique va pouvoir inonder toutes les niches et tous les recoins du pays et de nombreux pays européens. Voilà pour la prise d’altitude culturo-climatologique.
Face au lac de la Tête d’Or, je goûte à une chaleur encore raisonnable. Aux autres le footing matinal, à moi la plume aux courbes littéraires.
Encore une fête de la musique sans ma BB appelée pour ses nocturnes laborieux. A tout hasard, et pour prendre quelques nouvelles, j’ai envoyé hier un courriel à Liselle pour lui proposer de venir partager ces festivités avec moi, dans le cas où elle aussi se retrouverait en célibat provisoire. Réponse rapide ne laissant aucun doute sur la noirceur de son moral. L’inextricable affaire sentimentale avec cet homme marié n’en finit pas d’amputer la part joyeuse, pétillante et heureuse de vivre de cette chère Liselle. La tonalité de son refus révèle un repli sur soi, extrême et dangereux, un découragement apathique qui pourrait bien dériver, avec une nature propice, vers l’irréparable. Pour me rassurer, je la contacterai de vive voix dans la journée.
22h50. Une fête de la musique en solitaire, comme au sale temps de mon célibat misanthropique. Ma BB sur le pont des urgences, Eddy et Bonny retirés dans les alentours de Villefranche, Elo et Ivan n’ayant donné aucun signe à mon message, Liselle restée au repos, je n’ai pas tenté de contacter d’autres relations, et notamment de plus évasives accointances.
Je retrouve sans peine mes réflexes d’isolement forcené dans la foule festive. Ma nature profonde ne varie pas, elle se maquille pour ne pas forcer la tendance à se jeter du pont.
Pas à me plaindre, pourtant. La qualité du contact doit prévaloir et l’amour de ma BB relativise l’écorchure existentielle.
La foule de la gorgée rue de la République, de la pleine place Bellecour et de l’encombrée rue Victor Hugo donne un panel multicolore de la population. Pas de quoi s’ériger contre, mais la méfiance prévaut face aux groupes bêtifiants et aux masses incontrôlables.
A la terrasse du Sur le pouce, une bière pour s’hydrater, un petit vent pour apaiser préventivement les recors de chaleur attendus pour ce premier jour d’été, je me suis humanisé quelque peu. Le seul à occuper seul ma table, mais l’agitation du Bic me sert d’alibi créatif pour pallier cette solitude du soir.
Face au Bar Américain, une collègue de Forpro, Rita P., avec son mari et un autre guitariste, renoue avec sa jeunesse musicale et obtient un bon succès au regard du demi cercle épais d’auditeurs captivés. Je ne reste que l’instant de quelques mélodies, avant de replonger dans un vagabondage sans but, les écouteurs chargés des rythmiques entraînants fixées par le hasard du zapping des quelques stations préréglées. Une façon d’animer avec plus d’esthétisme sonore la faune urbaine et de fixer la cadence des pas.
Vu ce matin l’ex infirmière qui rédige un essai dénonçant les méfaits qu’aurait occasionnés la vaccination systématique de la jeunesse contre l’hépatite B. Je lui remets les feuilles confiées pour lecture et éventuelle correction. Mon sentiment sur les arguments peut se résumer mon inadéquation à ce qu’elle dégage. J’ai beaucoup de mal à supporter cette présence collante, obséquieuse, maladroitement féminine et en décalage total avec sa corporalité. De là une critique exacerbée de sa démonstration, et notamment de la justification de toutes les dérives d’une jeunesse angoissée, malade par cette prétendue infecte vaccination. Un raccourci qui suggère l’irresponsabilité de cette pauvre délinquance juvénile. Un pseudo déterminisme qui nie la salauderie consubstantielle de certains êtres, peu important leur état de vaccination !
J’ai fait au plus vite pour abréger l’entretien et fuir cette Josiane et son intérieur confiné. Toujours une curieuse expérience de ressentir son instinct, que ce soit dans l’inclination obsédante ou dans le rejet viscéral. L’observation de soi n’est jamais plus incisive que dans son rapport à l’autre.

Dimanche 22 juin, 0h53
La nuit reste lourde et le sommeil se fait attendre.
Ce dimanche, l’ombre du parc n’a pas réussi à rendre plus réactive ma lecture de Léautaud. Etat quasi comateux dans cet air brûlant. Le climat ne doit pas être un prétexte à ma démobilisation. Dès ce matin, je m’impose une activité plus soutenue, après ces deux semaines de pause pédagogique. Le très net allègement de mes interventions à Forpro, compensé par quelques versements Assedic, doit me permettre d’avancer dans mes relectures et dans la répartition thématique des citations.
Courriel de Flo, toujours en Angleterre, mais qui devrait passer à Lyon début juillet. Et demain, verrais-je Aline L. en déplacement professionnel furtif à Villeurbanne ?
Finalement, certains liens amicaux perdurent malgré la distance.
Pour achever la dernière page de ce Manus XI, une tendre pensée à ma BB dont la nuit sera, je l’espère, plus calme que la précédente qui lui a fait gérer vingt-quatre cas (soixante-dix pour tout le service) et ne lui a laissé qu’une demi heure de répit. Une tendresse méritée, donc.

Lundi 23 juin
Devant l’émission C dans l’air qui accueille mes deux intervenants préférés, tant par leur personnalité qui transparaisse, que par la précision de leurs raisonnements : Antoine Sfeir, responsable des Cahiers de l’Orient, et Roland Jacquard de l’Observatoire international du terrorisme.
Après la saisie, ce jour, par les Grecs, de 680 tonnes d’explosifs sur un navire fantôme, il convenait de réunir ces deux pointures de qualité habituées du plateau de Calvi. Al Qaida : vacances polluées en est le titre du jour et l’alarmisme des analystes n’augure aucune accalmie de la terreur sanglante. A quand des kamikazes se faisant exploser dans des pays européens, ou l’utilisation d’un avion subtilisé et bourré d’explosifs (680 tonnes équivaut à la puissance d’une bombe atomique), comme une bombe volante, sur une capitale européenne ? Voilà quelques pistes terrifiantes abordées.

Mardi 24 juin, après minuit
Courriel de Heïm m’informant de l’évolution des dégradations physiques, et notamment un œil gauche quasi aveugle et des pieds en cours de paralysie. Avec autodérision, et pour résumer le nom de la maladie générale qui le ronge, elle est propre aux vieillards obèses.
Evidemment, la mise en page du Gâchis ne peut qu’être ralentie, mais il espère pouvoir m’envoyer prochainement le premier exemplaire, plus de trois ans après avoir fixé ce projet éditorial.

Mercredi 25 juin, 0h30
Entrevue d’Aline L. qui occupe une haute fonction chez Philipp Morris France, Senior Councel, équivalent d’un directeur de département juridique. Belle réussite pour ma copine de lycée, célibataire depuis octobre dernier. Toujours aussi douce et agréable de contact, elle semble séduite par Lyon qu’elle découvre. L’effet attractif n’opère pas que sur moi. Rafraîchissant détour chez Nardonne où je découvre leur succulent parfum coquelicot. Une reprise du TGV à seize heures avec le sympathique avocat qui l’accompagnait, elle me promet de m’envoyer par courriel l’adresse de notre ancienne professeur de français en première, Hélène Sabbah, qui prend sa retraite cette année.
Découverte avec ma BB, ce soir, du créatif dessin animé français Les triplettes de Belleville, au graphisme poétique caricatural, aux lignes se prolongeant pour mieux suggérer l’essentiel des situations où la parole se réduit au minimum.

Vendredi 27 juin
Nouvelle inespérée : Elo a son diplôme de DUT.
Arrivés ce soir à Arles, nous logeons dans le charmant appartement de Romy.
A bientôt minuit : de retour d’une tendre soirée en amoureux. Dîner puis promenade sur les bords arlésiens du Rhône pour un retour dans les rues de la ville. Même si la symbiose ne peut être absolue, l’entente demeure majeure et tend à s’amplifier avec le temps. Un signe pour aller au-delà de mes trois ans fatidiques pour l’épuisement des dualités.

Dimanche 29 juin
Sur une plage de sable noir des Saintes Maries, présentée comme la capitale de la Camargue, je reçois sans angoisse la dose de radioactivité que ces étendues recèleraient. Ces innombrables grains noirs, mélangés à des blancs et des marron, rendent la surface brûlante, ce qui incite au farniente sur serviette.
Hier soir, dîner sur la vaste terrasse d’Aude, ennoblie d’une douceur ventée qui nous a comblés après la surchauffe arlésienne. L’action combinée de deux Pineau des Charentes et de quelques verres d’un bon rouge régional, m’a fait dériver vers les zones polémiques. Face à moi BB, sa sœur et notre hôte ont égrené leurs arguments anti-américains : j’ai graduellement cabré mon propos jusqu’à ne plus pouvoir renouer avec l’apaisante convivialité de l’amorce. Point que je tienne par-dessus tout aux opinions défendues, nos deux analyses étant fondamentalement complémentaires, il me fallait, par principe buté, tenir le cap que je m’étais assigné. Voilà un vrai défaut de caractère, rogaton d’une adolescence boudeuse.
La quarantaine verbale que je me suis imposé pour la fin de soirée, ruminant le bon aloi de mes coups d’éclat, s’est prolongée jusqu’au dodo, ce qui a fait pleurer ma BB. Réalisant alors la sottise de l’autarcie intellectuelle, j’ai consolé ma douce en retrouvant la parole.
Ce soir, virée à Marseille où nous devon retrouver Mylène dont l’inactivité indemnisée assombrit le moral.

Lundi 30 juin
Après une joyeuse soirée à Marseille, où les spécialités libanaises ont comblé nos papilles, nous partons en couple vers les Baux de Provence pour découvrir la Cathédrale d’images. La température de l’endroit devrait trancher avec la chaleur provençale. Du culturel frais pour ainsi dire.
La vision très partielle et rapide de Marseille ne m’a donné aucune envie d’y résider. Quelques signes révélateurs me suffisent : l’abandon de tout marquage au sol qui intensifie l’anarchique rapport piétons-voitures, la présence de détritus sur les grands boulevards (la Canebière notamment) ou dans les rues plus modestes. Même si la ville est sortie récemment d’une grève dure des éboueurs, Mylène me confirme la tendance constante. L’espèce de je m’en foutisme décontracté qui s’en dégage, même si cela doit être réduit à du cliché simpliste, ne me séduit pas un brin. Pour y passer oui, pour y découvrir quelque monument, pourquoi pas, pour y vivre sûrement pas. Une visite salutaire finalement, puisque cela me conforte dans mon attachement à Lyon. Je n’occulte pas les défauts de la capitale des Gaules, mais la balance séduction-répulsion s’incline largement vers l’attrait. L’aspect grand bazar paradeur de Marseille m’irriterait chaque jour, et je fulminerais contre cette ville comme je le faisais pour Paris, Big Lutèce comme je la surnommais.
On pourrait synthétiser que la rencontre d’une localité relève un peu du rapport amoureux, unilatéral dans ce cas… quoique.

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