Janvier/Février

Mercredi 1er janvier, 4h15
De retour avec ma BB d’une joyeuse soirée toute en complicité à Saint-Cyr, chez Elo, avec Jérôme et Shaïna. Une bien belle façon d’enterrer 2002. La morosité ambiante du monde a été boutée hors de cette parenthèse festive. Musique, gueuleton et rigolade : triptyque à l’honneur dans la maison des F. La petite Julie (bientôt onze mois), fille de la sœur d’Elo, a pris sa dimension de bébé vif et convivial. Que d’espoir pour l’humanité si elle se basait sur ces modèles…

23h37. La respiration de ma BB est à la limite du ronflement, mais je ne perturberai pas ce sommeil qu’elle a, en ce moment, tant de mal à trouver. Avec West Side Story en V.O. sur Arte comme fond sonore, la voilà bercée pour des rêves truculents… « in America ! ».
Nous avons décliné une invitation à partager une glace chez les F. (le message de Jérôme précisait que l’on pouvait venir me chercher à Perrache, comme si j’allais laisser seule ma BB pour ce jour férié, curieux… il faudra que je me fasse expliquer ce point par Elo…). Journée de farniente et de récupération après cette série de festives réunions. En fin d’après-midi, début d’initiation de BB aux échecs sur le magnifique (et lourd) jeu en onyx offert par mon père… noël. Merci ‘pa !
Bush fils a modéré son discours belliqueux à l’endroit du tyran Hussein : trêve des confiseurs ou conscience du gouffre financier de cette expédition guerrière ? Le timbre de Nathalie Wood laisserait bien croire à l’humanité « tonight ! ». Brève illusion pour ce premier jour de 2003.
Eu, entre autres personnes, ma grand-mère au téléphone pour lui adresser mes vœux les meilleurs pour cette année. Elle m’informe avoir reçu une carte de Sandre et elle ajoute (sans doute inconsciente de l’incongruité de sa remarque) : « Sans regret ? » Pas un chouia, pas une once ! Pour se rattraper, elle nous souhaite tout le bonheur possible…

Samedi 4 janvier
Le rythme pédagogique va bientôt reprendre ses droits. Dès lundi matin, je file à Saint-Etienne pour une intervention exceptionnelle auprès des BTS en culture générale. Petit appoint pour une révision par la pratique de leurs épreuves.
Janvier 2003 sera-t-il enfin celui de la parution du Gâchis ? Le dernier courriel de Heïm m’informait de problèmes techniques… nous verrons bien. Pour une fois, j’attendrais qu’on se manifeste à moi (pour les gens du Nord, Sally compris) avant d’envoyer mes vœux. On va quelque peu changer les habitudes pour leur laisser l’initiative. Echange de bonne année avec Heïm seulement, pour l’instant. L’affection distante et méfiante, voilà tout ce que je ressens aujourd’hui pour eux. Je distingue bien l’engagement éditorial antérieur qui va enfin s’accomplir et l’avenir de relations que je vais raréfier.
Avec ma BB, tout est au beau fixe, mais je dois me brusquer un peu pour aller au-delà de la tendresse affective et attiser chez moi la fibre érotique. Je n’ai jamais atteint cette plénitude psychologique avec mes relations antérieures.
Une épiphanie partagée demain en fin d’après-midi ave la joyeuse troupe de la Saint Sylvestre chez moi (ma BB nous rejoindra au sortir de sa journée de travail). Je leur ferais découvrir les photos de la nuit et leurs commentaires : reconstituer le fil de la soirée avec quelques notations amusantes permet d’animer un peu la simple succession d’images muettes. Des agrandissements d’une photo nous réunissant tous les cinq derrière la tablée, unis par le rire, leur sont réservés, le mien étant déjà sous cadre. Belle image d’amitié que j’espère très longue.

Mercredi 8 janvier
L’ambiance hivernale est bien installée : après la baisse considérable de la température depuis quelques jours (une quinzaine de degrés en moins) s’ajoute aujourd’hui les flocons. Après un cours particulier donné à Charbonnières, obligé de rallier Tassin à pied avec un réseau routier paralysé.
Toujours édifiant sur la nature humaine, le premier jour des soldes : extravagantes couvertures nocturnes et précipitation d’une population jusqu’à l’absurde, comme cette dame venue de loin et qui dort à l’hôtel pour pouvoir être présente à la première heure ! Sa marge a dû fondre sans qu’elle en prenne conscience.
Reçu ce jour une carte de Bruno M. et de sa compagne, fidèles accointances de l’époque avec Sandre, et les seules à avoir maintenu (à distance) le lien. Je vais bien sûr leur répondre.
Avec cette vie sereine, entourée amicalement, stabilisée sentimentalement, calmée professionnellement, cela n’affadit-il pas cette écriture-témoin ? Sans profonde source de désespoir, ayant rejeté tout ce qui participait à mon mal être, n’ai-je pas du même coup annihilé, éradiqué la veine inspiratrice ?
Reste une vision critique du monde, mais l’intimisme du Journal s’évanouit. A ce propos, depuis l’allusion de Heïm à des problèmes techniques pour la parution du Gâchis (il y a dix jours) plus de nouvelles…
Amusant appel de Karine G., après mon courriel de vœux. Je n’ai vu cette jeune femme qu’une fois (en 94 ou 95) à Paris (contact Minitel) chez elle, dans la pénombre et sans rapport sexuel. Depuis, quelques manifestations téléphoniques sporadiques. Elle fait partie de cette époque inconstante où je cumulais les entrevues éphémères, avec, parfois, quelques complicités charnelles à la clef. Curieux d’essayer de faire une galerie de toutes ces demoiselles croisées, et dommage de n’avoir pu maintenir un lien avec certaines d’entre elles, ou simplement obtenir quelques nouvelles. Mon existence a tout de même produit une forte proportion de déchets relationnels.

Mardi 14 janvier

Haro sur les automobilistes !
Encore un réquisitoire contre ces criminels d’automobilistes se soir sur TF1. Voilà qui fait du bien. Vu du piéton, l’agressivité crétine et irrationnelle de ces connards motorisés, de ces décervelés à neutraliser, donne des envies primaires de tabassages. Les fourches patibulaires devraient agrémenter le bord des routes pour ces inaptes tueurs en puissance. Exemple de cette femelle à étêter qui s’obstine à continuer son appel tout en conduisant et brûle ainsi une dizaine de feux rouges. L’inconscience poussée à ce degré ne doit faire l’objet d’aucune pitié. Il faut interdire à vie la conduite à tous ces égoïstes mortifères. Cette civilisation continue à me puer au nez.
Finalement, je me félicite de ma misanthropie et je persiste dans ma haine du comportement de ces crasses irresponsables. Le tout répressif, au tréfonds et sans pitié.

Jeudi 16 janvier
Quelques longueurs dans la piscine municipale, rue Garibaldi, avec ma BB. Une façon de raffermir le corps et de détendre le cortex.
Nouveau message de Heïm faisant état des quelques soucis techniques pour la parution du Gâchis. Le Sisyphe aurait-il son incarnation éditoriale ?

Dimanche 19 janvier
Les liens amicaux ne se tarissent pas. Samedi soir, passage au Red Lion’s où Bonny se produit pour la dernière fois. Dès le 17 février, elle s’exile à Paris pour une demie année, carrière artistique oblige : elle intègre le prochain spectacle de Muriel Hermine, la nageuse reconvertie. Le Red bondé offre toute la palette de la gente féminine, certaines sans retenue par les verres accumulés. A ses côtés, Yann chauffe aussi ses cordes, mais sans l’amplitude vocale requise pour certains morceaux. Le Your Song n’a plus les atours inspirés et se rabougrit par une fluette interprétation. Je décèle à ce moment, dans le regard de Bonny, la transpiration de reproches irrités envers son collègue de scène. Rien à faire, le talent doit irriguer l’artiste pour transcender l’expérience besogneuse et pour transporter les destinataires. La dernière cuvée de Lauryn Hill, voix et guitare comme seules présences, culminent pour une densité interprétative, jusque dans ses quelques défaillances sublimées. La création artistique réconcilie quelque peu avec l’espèce humaine, laissant transparaître d’elle sa plus attachante facette, délivrée des crasses et mesquineries habituelles. Sans doute la seule voie pour tendre vers l’âge d’homme, vers la maturité pacifiée de l’humanité.
Nuit achevée avec Eddy et Bonny, complétés de quelques accointances, dans l’antre du vieux désuet aux rassasiants croque-Monsieur. Un spécimen d’incongruités avec lequel j’ai quelques secondes polémiqué pour une porte mal fermée. Sa frousse d’être pris en faute par les forces de l’ordre (sans doute encore ouvert hors de l’horaire légal pour un café, à quatre heures du matin) rendait presque pathétiques ses monomanies argumentatives.
Hier soir, très joyeux et complices moments avec Elo et Jérôme, ma BB nous accompagnant malgré son levé dominical programmé à 5h30. Après un apéritif nourrissant, le quatuor s’est décidé pour un bowling ès déconnage, une agréable sortie pour improviser les moments d’ivresse amicale.
Poutre dans l'oeil !
Retour au bercail respectif avant les douze coups, je finis ma soirée devant Ardisson et sa flopée d’invités hétéroclites. Avec son sens affûté des réunions détonantes, il débute son entretien avec l’auteur d’un réquisitoire contre la tendance française à la censure par la loi des idées qui ne répondent pas à l’idéologie dominante et aux principes de l’humanisme, alors qu’il serait préférable, et plus digne, de les combattre par l’échange intellectuel. Avant tout développement de sa position, Ardisson appelle l’allumé du barreau, l’intolérant Arno Klarsfeld. Evidemment,
l’animateur retient dans l’ouvrage, pour galvaniser le débat, les deux exemples d’idées à ne pas bâillonner, même si on les vomit (ce que l’auteur rappelle à plusieurs reprises) : le révisionnisme et le racisme ! L’avocat, excité par ces deux chiffons rouges, n’aura pas tenu longtemps sur le terrain du contradictoire intelligent. A cours d’inspiration, il jette le contenu de son verre à la tête du responsable de Reporters sans frontières. Cela lui vaut une réprobation générale : il démontre, encore une fois, que la haine et la médiocrité d’âme traînent aussi chez ceux qui s’érigent en maîtres ès droits de l’homme.

Dimanche 26 janvier, 1h30
La naissance du jour du seigneur m’inspirerait-elle, ou n’est-ce, plus prosaïquement, que le rare moment d’une pause littéraire (ou scribouillarde selon l’inspiration de l’instant).
Un samedi en dualité qui ne s’entache d’aucune contrariété avec ma BB : une matinée relaxante, à midi piscine pour une heure d’efforts sains, une fin d’après-midi à se divertir devant la trogne d’un de Niro déchaîné pour la deuxième cuvée de Mafia blues ; une soirée dans le cocon pour enchaîner Les chemins de la dignité avec le complice de Niro beaucoup moins rigolo, une partie d’échec puis de jambes en l’air
Epoque sereine donc, seule ombre légère : le tournis du temps qui file. Et toujours rien à l’horizon éditorial des gens du Nord. L’inspiration manque pour croquer les bonnes bribes existentielles. Pas d’acharnement pour l’écriture diariste.
Haro sur les automobilistes !
12h50. Enfin, depuis quelques semaines, un acharnement médiatique appréciable. L’insécurité routière avec son chargement de délinquance
larvée de tous ces bons français conducteurs qui, bien sûr, en savent plus que les autres et maîtrisent comme personne leur sacro-sainte taule ondulée motorisée. On rétorquera, là encore, le prisme déformateur des médias qui se focalisent sur quelques écarts marginaux comparés au nombre astronomique de déplacements sans dérive meurtrière. Piéton militant pour 95 % de mes trajets aujourd’hui, je fulmine chaque jour contre ces petits excès prétendument calculés… jusqu’au jour où : perte de maîtrise du véhicule qui vaudrait toutes les absolutions, tous les pardons des assassinats commis. La préméditation criminelle tient ici dans une prise de risque volontaire en dehors de la loi. S’impose donc l’intention de mettre potentiellement en danger de mort ceux qui croisent leur route. Quand la technologie et le progrès favorisent le plus primaire des instincts : moi avant les autres et au sacrifice de ces gêneurs, les piétons, les trop lents, les simples existants sur mon passage. Pire même que les bêtes, que les charognards les plus infâmes, car l’objectif n’est nullement la survie organique, mais le simple contentement d’arriver plus vite. Comme si le boulot de merde de ces zombis, la distraction crasseuse de ces arriérés, l’occupation inepte de ces inaptes majeurs valaient plus que le respect de la vie de l’autre ! Pourquoi leur caricature comportementale mériterait-elle de subtiles analyses et une législation modérée ? Non, il faut se départir de la molle compréhension criminellement complice, se libérer du si complaisant impondérable que l’on décèle dans tout accident, foutre en l’air les incongruités législatives qui ouvrent des boulevards à la récidive dans l’impunité. On nous a matraqué le cortex avec le divin Principe de précaution. La semaine dernière encore, on a abattu plusieurs milliers de chèvres après avoir déniché deux ou trois cas de tremblante qu’on pourrait suspecter de lien avec un dérivé de l’ESB. La subtilité fonctionne ici à plein pour ériger le moindre soupçon en motif de neutralisation définitive. Avec la meute d’automobilistes dangereux, inciviques à tours de volant agressif, rien de cette volonté de les écarter. Un principe de précaution social s’imposerait pourtant : on va laisser conduire celui qui a tué ou blessé grièvement, manifestement (selon des témoins) sous alcool mais que les ballons (baudruche technique) n’ont pas scientifiquement confirmé, et ce tant qu’il n’a pas été jugé par un tribunal engorgé d’affaires. Les autorités politico-administratives prennent donc le risque que s’ajoutent d’autres victimes éclatées ou écrasée par le conducteur tueur ! Ahurissant ! Il faudrait systématiquement interdire la reprise du volant à celui qui a occasionné un accident corporel, et ce préventivement avant tout jugement. Aux chiottes les accusations d’autoritarisme : face au terrorisme routier, c’est la sécurité vitale qui prime, avant tout autre considération pseudo humaniste, républicaine ou démocratique. Aucune éthique de comportement ne modérant nombre de conducteurs, l’accès quasi automatique à ce statut de tueur potentiel
quotidien, la tendance civilisationnelle à laisser l’usage au maximum de gens d’engins dangereux, pour le bien-être économique et la satisfaction égocentrique, tout cela mérite un coup d’arrêt : il faut maintenant sévir sans pitié, éradiquer les petits travers journaliers qui minent la conduite sociale, écarter de l’asphalte tous ceux qui se jouent de la règle, qui se torchent avec le contrat social. Griller un petit feu, pas grave, téléphoner en pleine action roulante, je le peux, fumer du cannabis avant le voyage sur route, quelle conséquence… Chacun légitime ses écarts si anodins et participe au fléau qui bousille l’existence de trente cinq mille personnes par an (morts et infirmes). Halte au déchaînement de l’inconscience, à ces dégazages comportementaux qui désespèrent de l’être humain !

Dimanche 2 février
Que ce temps file ! Ne pas trop s’y arrêter, sous peine de malaise existentiel.
Février s’amorce et à nouveau silence radio de Heïm. Sa nouvelle promesse éditoriale va-t-elle aussi se limiter aux lyriques déclarations de principe ? 
 Cela confinerait alors à la bouffonnerie.
En tout cas, de moins en moins d’inspiration pour remplir ces pages. Si cela doit s’assimiler à une corvée, je préfère cesser.

Vendredi 7 février
Invités avec quelques autres de leurs amis, chez Eddy et Bonny pour marquer le départ de notre chère chanteuse à Paris pour le spectacle de Muriel Hermine. Joyeux moments à l’horizon.
Demain matin, voyage vers Lutèce : anniversaire de maman au programme et visite habituelle chez papa le lendemain. Tout cela bien rôdé et avec un vrai plaisir familial à chaque fois. L’exil lyonnais aura permis cette bénéfique pérennisation de mes rapports affectifs avec mes vieux, comme l’on dit peu joliment.
Message téléphonique de Heïm faisant le point de la chronique éditoriale du Gâchis : aucune mise à l’écart, mais des soucis de « stabilisation » du texte et la découverte de multiples fautes. Communication du Journal à François R. pour un regard littéraire aguerri (quinze jours prévus), puis expédition d’un exemplaire avec les propositions correctives. Nous verrons la teneur de cette ingérence dans mon texte…

Samedi 8 février
Ma tendance à attiser un thème polémique pour batailler verbalement avec les interlocuteurs présents n’a pas disparu, seuls les sujets de prédilection variant.
Hier soir, au cours de la Raclette partie, début d’accrochage avec l’une des convives à propos du comportement des automobilistes. Radical face à ses tentations de minorer la gravité des déviances barbares au volant, j’ai dû me censurer sous peine de saborder la joyeuse atmosphère. Au fond, c’est souvent bien plus le plaisir de la confrontation argumentative qui motive mes emballements, que la réelle et fondamentale défense d’idées, même si, dans le domaine routier, des attitudes me révoltent sincèrement. L’écrit suit aussi le même mouvement. Sans doute l’effet d’un tassement idéologique, d’un relativisme en phase expansive qui me rapproche davantage du contempteur distancié. « Mourir pour des idées » m’apparaît de plus en plus comme une facilité intellectuelle, dans un confort jusqu’au boutiste à œillères.
Du retournement d’opinion : en 1990, il fallait être pour l’intervention contre l’Irak, sous prétexte de libérer l’Etat fantoche du Koweït. Mes chroniques minitelliennes prenaient alors le contre-pied. Aujourd’hui médias et population de l’hexagone s’insurgent contre la démarche belliqueuse des Etats-Unis. Ne devrais-je pas me réjouir que la majorité rejoigne l’approche minoritaire d’alors ? Le goût de se nicher dans les brèches inconfortables m’inclinerait plutôt à soutenir l’autoproclamé gendarme du monde quelles que soient les vaseuses motivations.
Selon le même principe, je tente de faire découvrir aux auditeurs de BTS, à travers les thèmes de culture générale abordés, des sons de cloche marginaux, à contre-courant, sur quelques grandes problématiques actuelles. Sur le clonage, un extrait des fracassantes déclarations de Lewis Wolpert, professeur de biologie appliquée dans une prestigieuse université londonienne, qui stigmatise comme un argument « de merde » l’étendard de la dignité humaine pour rejeter le clonage reproductif. Voilà des éthiciens qui s’insurgent, à juste titre d’ailleurs, contre les thèses sociologiques qui font primer la génétique sur l’acquis, et qui, dans un autre élan, vont hurler au « crime contre l’espèce humaine » (selon la terminologie du projet de loi bioéthique voté récemment à l’unanimité) dès qu’on ose toucher au sacro-saint inné humain ! Dans un cas l’environnement est considéré comme déterminant, balayant toutes les thèses racistes, mais d’un autre la base génétique est érigée au-dessus de tout, comme intouchable sous peine d’atteinte à cette dignité humaine à facettes variables. Curieux, non ? Pas question bien sûr de les inciter à rallier cette position, mais seulement de les ouvrir à d’autres traitements d’un sujet rabâché selon les mêmes réflexes idéologiques.
Même chose pour l’image d’une nature bienfaitrice et du légitime combat de Bové. En 1959, Jean

Fourastié sortait un Pourquoi travaillons-nous ? dans lequel un extrait sur la réalité d’une nature hostile prend un relief encore plus pertinent plus de quarante ans après. L’intervention de l’homme sur les éléments naturels s’avère très majoritairement indispensable à sa survie. Ainsi, le blé, tel qu’il est ne résisterait pas plus de vingt-cinq ans sans l’attention agricole. Les croisements entre espèces se confondent presque, dans l’ancienneté, avec l’histoire de l’humanité. Le remugle des OGM éclaire d’une paradoxale manière cet argument : un peu dérisoire et inconséquent le combat auto-promotionnel du moustachu !
Plonger dans l’intellect des défenseurs de l’impossible vivifie et régénère son cortex.

Samedi 15 février
7h39. En rail pour Lutry, trois jours d’immersion dans le cocon de Shue et John pour une aide ultime à la finalisation de la thèse sorbonnarde.
Hier soir, gourmande Saint-Valentin avec ma BB au Trocadéro, restaurant gastronomique du sixième. Au cours du vagabondage intellectuel, j’évoque ma position à l’égard des Gens du Nord, et de Heïm, en première ligne. La phase véhémente de ces derniers mois, volontairement outrancière, s’explique aisément par le besoin de contrebalancer des années d’adhésion a priori, à l’aveugle, à tous les constituants de cette vie partagée ; une adéquation moléculaire en quelque sorte. Démontrer aussi, par la mise en perspective des écrits et des actes, qu’une distance critique, aussi affirmée soit-elle, ne se traduit pas par de clandestins rapprochements avec ceux qui ont pris le large avant, parfois de plus fracassante façon. Pas d’intention de nuire, de désespérer davantage, mais l’impérative exigence de consigner un ressenti aux antipodes des croyances fusionnelles antérieures. Honnêteté intellectuelle du diariste en herbe, en fait. Très naturellement, au fil des années, ces assauts virulents contre certains présupposés de Heïm s’émousseront au profit d’une plus panoramique position.
Une entrevue avec ceux qui ont rompu avec Heïm ne pourrait avoir lieu, de mon fait, qu’après sa mort. Ne pas surajouter aux déchirures, par des rapprochements incongrus, conditionne ma réserve. Aucun esprit de ligue anti Heïm chez moi.

Les monomanies propagandistes des deux camps, sur le caractère inacceptable ou impératif d’une guerre en Irak, s’accumulent jusqu’à l’écoeurement. Bush assène ses litanies à la manière d’une mécanique belliqueuse bloquée, Chirac s’acharne, avec un incontestable accent gaulliste, à repousser l’inexorable, Saddam peaufine un peu plus sa stature d’insoumis au diktat américain.
Oublié d’indiquer l’appel inattendu, un soir de cette semaine, de la joyeuse Aurélie, chère complice du binôme féminin rencontré avec Karl à Royan. Installée en Allemagne pour son travail et sa relation de cœur, elle a pris l’initiative tardive après mon envoi, courant décembre, d’un courriel de bons vœux avec reproduction de la couverture du Gâchis. Finalement, je n’étale pas autant que cela mes penchants scribouilleurs. Lui ayant toujours envoyé des courriels lapidaires, au point que cela nourrissait ses moqueries, elle ne pouvait imaginer une œuvre écrite. Occasion de nouvelles partagées et d’envisager une entrevue prochaine.

Lundi 17 février
17h. Fin du séjour studieux à Lutry. Phase terminale de la thèse, soutenance programmée fin mai : l’aboutissement sur les chapeaux de roue d’une étude source d’angoisse pour Shue.
Entr’aperçu Marie ce matin. Heureuse de me revoir, même en coup de vent, enchantée de ma publication, elle espère que nous trouverons une autre occasion d’une plus large entrevue. Shue et John doivent quitter Lutry fin avril (c’est la grande nouvelle du week-end) pour s’installer aux alentours de Nice : la possibilité de revoir Marie (à moins d’une invitation spécifique de sa part) s’amenuise. Elle rappelle quelques instants plus tard pour programmer une nouvelle venue avant la fin mars : occasion d’apprécier l’avancement de ses écrits, de me présenter à un ami, auteur de poésies, et de passer quelques moments amicaux ensemble.
Pour en revenir au départ prévisible du couple Shue-John, il résulte de charges locatives excessives et d’une reprise trop timide des affaires pour assumer à long terme ces lourdes dépenses fixes.
La nuit dernière, l’idée incongrue de noter ici les instantanés qui me restent sur les multiples relations éphémères cumulées. La retenue générale en matière sexuelle, sous forme d’anecdotes, de ressentis charnels, de détails érotiques semble la règle dans ce Journal. Certes, je n’ai pas versé dans l’orgie des sens, dans la réalisation des plus inavouables fantasmes, mais ma gourmandise sexuelle, mon goût prononcé pour la femme, mon enclin pour la découverte de l’autre au féminin, peuvent constituer un témoignage attractif. En dehors de mes grands amours, Aurore, Cathou, Sandre, Helen et
aujourd’hui ma chère et tendre BB ; en dehors des quelques cas d’amorces sentimentales converties en affective amitié – Shue et Marianne, notamment – reste une galerie insoupçonnée de jeunes femmes croisées pour un ou quelques entremêlements de nos souffles et l’enserrement de nos corps. Si mon esprit n’a pas conservé intact leur souvenir, mon cœur les chérit encore par les quelques traces laissées comme un doux jalonnement initiatique : avec aucune (sauf Elen que j’ai omis involontairement, mais de façon très révélatrice, de mentionner dans les amours importants) la fin n’a été source de conflits ou de petites crasses réciproques, un éphémère exemplaire en quelque sorte. Que m’en reste-t-il donc, dans le désordre des surgissements cérébraux ?
Epoque parisienne :
- Quelques rondeurs naissantes, elle me mène à son logis, visiblement ravie de mon apparence (rencontre minitel). Je la sens gourmande et expansive. Son lit s’ouvre vite après notre arrivée, et la moiteur de ses courbes manifeste son excitation. Encore peu expérimentée, je découvre une intimité trempée aux accents musqués. L’appel intempestif d’une amie, à qui elle révèle ma présence et sa satisfaction de mes atours physiques, occulte le reste de l’échange.
- Jeune fille menue qui m’entraîne dans quelques pôles nocturnes de Paris : elle me convainc, dans une boîte d’homosexuels, d’avaler un demi cachet d’ecstasy (en 1994) ce qui me laisse de marbre. Plus sainement ludique, elle me convie à partager ses glissements sur patinoire, ce baptême me valant quelques chutes bien senties. Aucune trace sexuelle, avons-nous même fait l’amour ? Une présence appréciée, en tout cas, qui m’a initié aux sorties parisiennes.
- Coline, splendide liane noire du Ghana rencontrée dans un petit restaurant exotique à l’occasion d’une soirée en groupe parmi lesquels la patineuse en herbe. Relation à épisodes avec cette jeune black aux lignes envoûtantes. Paumée, sans le sou, je la soupçonnais de quelques extras sexuels contre rétributions, ce qui n’a jamais été évoqué pour nos coucheries. Sa peau, d’un grain ferme, me fascinait littéralement, notamment celui de son cul cambré, ferme et petit. Son affection sexuée me touchait, mais une méfiance indéfinissable, envers la partie immergée de son existence, n’a jamais permis de donner plus de consistance à ce lien. Cela se traduisait par une inclination puissante à la dorloter, la caresser, la malaxer, mais une retenue grandissante pour la pénétrer, dans quelque antre que ce soit. Découverte du labyrinthique cimetière du père Lachaise en sa compagnie, enlacés sous le regard réprobateur de quelques passants.

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